Conséquences juridiques de la création d’un statut spécifique pour les associations alternatives à la chasse sur les associations communales et intercommunales de chasse agréées (ACCA/AICA)
L’hypothèse de la création d’un statut spécifique pour des associations alternatives à la chasse, c’est-à-dire des structures qui poursuivraient sur le territoire rural des objectifs de gestion de la faune, de préservation de la biodiversité ou d’éducation à l’environnement sans pratiquer la chasse, soulève de nombreuses interrogations quant à l’articulation de ce nouveau statut avec le régime juridique actuel des associations communales et intercommunales de chasse agréées (ACCA/AICA). L’analyse qui suit s’appuie exclusivement sur les textes législatifs et la jurisprudence fournis, afin d’évaluer les conséquences potentielles d’une telle réforme sur le fonctionnement, les prérogatives et la légitimité des ACCA/AICA.
En synthèse, la création d’un statut spécifique pour des associations alternatives à la chasse viendrait nécessairement interroger la place des ACCA/AICA dans la gestion du territoire rural, la répartition des droits de chasse, la protection de la biodiversité et la participation des différents acteurs à la gouvernance cynégétique. Les conséquences seraient multiples : elles toucheraient à la fois à la répartition des droits sur le territoire, à la légitimité des ACCA/AICA, à la gestion de la faune et des habitats, à la participation au débat public, ainsi qu’à la protection des intérêts des propriétaires fonciers et des associations de protection de l’environnement.
Cadre légal actuel des ACCA/AICA et articulation avec la protection de la faune et des habitats
Le régime des ACCA/AICA est régi par un ensemble de dispositions du Code de l’environnement, qui leur confèrent un rôle central dans l’organisation de la chasse et la gestion de la faune sauvage sur le territoire communal ou intercommunal. Selon l’, « Les associations communales et intercommunales de chasse agréées ont pour but d’assurer une bonne organisation technique de la chasse. Elles favorisent sur leur territoire le développement du gibier et de la faune sauvage dans le respect d’un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique, l’éducation cynégétique de leurs membres, la régulation des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts et veillent au respect des plans de chasse en y affectant les ressources appropriées en délivrant notamment des cartes de chasse temporaire. Elles ont également pour objet d’apporter la contribution des chasseurs à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages. Leur activité s’exerce dans le respect des propriétés, des cultures et des récoltes, et est coordonnée par la fédération départementale des chasseurs. Les associations communales et intercommunales de chasse agréées collaborent avec l’ensemble des partenaires du monde rural. »
Ce texte consacre la mission d’intérêt général des ACCA/AICA, qui ne se limite pas à la pratique de la chasse, mais inclut la gestion de la faune sauvage, la préservation des habitats et la collaboration avec les autres acteurs du monde rural. Les ACCA/AICA sont donc investies d’une mission de gestion concertée du territoire, dans le respect de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique.
L’ précise les dispositions obligatoires des statuts des ACCA, notamment l’énoncé de leurs objets, qui doivent être conformes à ceux prévus à l’article L. 422-2, à l’exclusion de tout autre, « notamment de la location de ses droits de chasse ». Il impose également la couverture de la responsabilité civile, la constitution d’un fonds de réserve, la fixation des cotisations, la procédure disciplinaire, et la possibilité de fusion ou d’adhésion à une association intercommunale.
La création d’un statut spécifique pour des associations alternatives à la chasse viendrait donc interroger la place des ACCA/AICA dans la gestion de la faune et des habitats, et pourrait conduire à une redéfinition de leurs missions, de leurs prérogatives et de leur articulation avec d’autres acteurs associatifs.
Unicité de l’ACCA par commune et conséquences d’une pluralité d’acteurs
L’ dispose qu’« Il ne peut y avoir qu’une association communale agréée par commune. La fusion de communes n’entraîne ni la dissolution ni la fusion des associations communales de chasse agréées préalablement constituées dans les communes concernées, sauf décision contraire de ces associations. »
Ce principe d’unicité vise à garantir une gestion cohérente et centralisée de la chasse sur le territoire communal. L’introduction d’un statut spécifique pour des associations alternatives à la chasse pourrait remettre en cause ce principe, en ouvrant la possibilité d’une pluralité d’acteurs associatifs sur un même territoire, avec des objets sociaux différents (chasse, protection de la faune, éducation à l’environnement, etc.). Cela soulèverait la question de la coordination entre ces structures, de la répartition des droits et des responsabilités, et de la gestion des conflits d’usage.
Droit de chasse, propriété foncière et équilibre agro-sylvo-cynégétique
La jurisprudence européenne et nationale rappelle que le droit de chasse est un attribut du droit de propriété, mais que le législateur peut, pour des motifs d’intérêt général, organiser le regroupement des droits de chasse au sein d’associations agréées. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme, dans son , rappelle que « Attribut du droit de propriété, le droit de chasse appartient au propriétaire du fonds, qui peut se le réserver, le donner en location à un tiers ou le louer au preneur d’un immeuble rural en même temps que le terrain sur lequel il s’exerce (« détenteurs des droits de chasse »), ou le confier à une ACCA. » La Cour précise que « Sous le régime juridique institué par la loi Verdeille, et toujours en vigueur sur ce point, les conditions de création d’une ACCA diffèrent en fonction du département. (…) Une fois l’ACCA créée, la réglementation applicable est identique, que le département concerné figure ou non sur la liste prévue à l’article L. 422-6 précité. Ainsi, toute ACCA bénéficie d’une prérogative exorbitante du droit commun, à savoir celle de recevoir le droit de chasse « exclusif » sur l’ensemble du territoire soumis à son action. »
La création d’un statut spécifique pour des associations alternatives à la chasse pourrait conduire à une remise en cause de cette prérogative d’exclusivité, en ouvrant la possibilité pour d’autres associations de gérer, voire d’exclure la chasse sur certains territoires, au nom de la protection de la faune ou de la biodiversité. Cela impliquerait une redéfinition des rapports entre droit de propriété, droit de chasse et missions d’intérêt général.
Participation des associations alternatives à la gouvernance environnementale et contentieux
La jurisprudence administrative récente montre que les associations de protection de l’environnement disposent d’un intérêt à agir contre les décisions administratives relatives à la chasse ou à la gestion de la faune sauvage. Ainsi, le rappelle que « l’association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes a, dès lors, intérêt pour agir contre la décision en litige qui porte sur une période complémentaire d’exercice de la vénerie sous terre du blaireau dans le département de l’Allier. » De même, la précise que « L’association Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de France, agréée au niveau national au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement, a notamment pour objet la préservation des sites naturels et urbains. Elle justifie ainsi d’un intérêt à agir pour demander l’annulation de l’autorisation unique en litige délivrée pour l’exploitation d’un parc éolien composé de six aérogénérateurs. »
La création d’un statut spécifique pour des associations alternatives à la chasse renforcerait leur légitimité à intervenir dans le débat public, à contester les décisions administratives relatives à la chasse, à la gestion de la faune ou à la préservation des habitats, et à participer à la gouvernance environnementale locale. Cela pourrait conduire à une multiplication des contentieux, à une plus grande prise en compte des enjeux de biodiversité, et à une évolution des pratiques de gestion cynégétique.
Conséquences sur la gestion de la faune, la biodiversité et la régulation des espèces
Les ACCA/AICA ont pour mission de favoriser le développement du gibier et de la faune sauvage, dans le respect de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique. La jurisprudence européenne, notamment la , rappelle que « le régime des associations de chasse agréées répond à un motif d’intérêt général, visant à prévenir une pratique désordonnée de la chasse et à favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique ; que les propriétaires adeptes de la chasse qui apportent leurs terrains bénéficient, conformément à l’article L. 422-21 du code de l’environnement, d’une admission de droit à l’association de chasse et, par conséquent, du droit de chasse sur l’ensemble du territoire de l’association ; qu’ainsi, les propriétaires de terrains d’une superficie inférieure à celles mentionnées au 3o de l’article L. 422-10 du même code se trouvent placés devant l’alternative de renoncer à leur droit de chasse en invoquant des convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse ou d’apporter leurs terrains à l’ACCA, tout en bénéficiant des compensations qui viennent d’être rappelées ; qu’ainsi, ce système ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, et ne méconnaît pas les stipulations de l’article 1er du [Protocole no 1] ; »
La création d’associations alternatives à la chasse, dotées d’un statut spécifique, pourrait conduire à une diversification des modes de gestion de la faune et des habitats, en favorisant des approches non létales, la préservation de la biodiversité, la régulation naturelle des populations, ou encore l’éducation à l’environnement. Cela pourrait également entraîner une concurrence, voire des conflits, entre les ACCA/AICA et ces nouvelles associations, notamment en ce qui concerne la régulation des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, la mise en œuvre des plans de chasse, ou la gestion des habitats.
Conséquences sur la gouvernance locale et la participation du public
La jurisprudence administrative récente insiste sur l’importance de la participation du public et de la prise en compte des intérêts de la biodiversité dans les décisions relatives à la chasse et à la gestion de la faune. Ainsi, le a jugé que « la note de présentation de l’arrêté était lacunaire et ne garantissait pas une participation adéquate du public, créant ainsi un doute sérieux quant à la légalité de la décision. » De même, le a estimé que « la cour a relevé que le préfet n’a pas justifié la mise en place d’une procédure de participation du public, ce qui soulève un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté. »
La création d’un statut spécifique pour des associations alternatives à la chasse renforcerait la participation du public à la gestion de la faune et des habitats, en permettant à de nouveaux acteurs de faire valoir leurs intérêts, de proposer des alternatives à la chasse, et de contribuer à la gouvernance locale. Cela pourrait conduire à une évolution des pratiques de concertation, à une plus grande transparence des décisions, et à une meilleure prise en compte des enjeux de biodiversité.
Conséquences sur la légitimité et la représentativité des ACCA/AICA
Enfin, la création d’un statut spécifique pour des associations alternatives à la chasse pourrait remettre en cause la légitimité et la représentativité des ACCA/AICA, en ouvrant la voie à une pluralité d’acteurs associatifs sur le territoire rural. Cela pourrait conduire à une redéfinition des missions des ACCA/AICA, à une évolution de leur gouvernance, et à une adaptation de leur fonctionnement aux nouvelles attentes de la société en matière de protection de la biodiversité, de bien-être animal, et de gestion durable des territoires.
Conclusion
La création d’un statut spécifique pour des associations alternatives à la chasse aurait des conséquences majeures pour les associations communales et intercommunales de chasse agréées. Elle remettrait en cause le principe d’unicité de l’ACCA par commune, la prérogative d’exclusivité du droit de chasse, et la centralité des ACCA/AICA dans la gestion de la faune et des habitats. Elle renforcerait la participation du public, la légitimité des associations de protection de l’environnement, et la prise en compte des enjeux de biodiversité. Elle pourrait également conduire à une diversification des modes de gestion du territoire rural, à une évolution des pratiques de concertation, et à une redéfinition des missions et de la gouvernance des ACCA/AICA. L’ensemble de ces conséquences devrait être soigneusement évalué, afin de garantir la cohérence, l’efficacité et la légitimité du dispositif de gestion de la faune et des habitats en France.